L’exposition Suzanne Valadon au centre Georges Pompidou à Paris, du 15 janvier au 26 mai 2025, est l’opportunité de se pencher sur cette artiste. Son parcours, son indépendance, son style puissant et expressif.

Photo tirage argentique – Paris, centre Pompidou
L’ascension artistique de Suzanne Valadon
Suzanne Valadon (1865 – 1938), peintre à une époque où les artistes féminines étaient souvent reléguées au second plan, a connu une ascension remarquable dans le monde de l’art.
De modèle à peintre : un destin hors du commun
Née Marie-Clémentine Valadon en 1865, d’une mère blanchisseuse dans un milieu modeste, elle est d’abord attirée par le métier d’acrobate, puis arrive à Paris dès l’âge de 14 ans pour subvenir à ses besoins.
A Montmartre, où les grands artistes venaient repérer leurs modèles, elle se fait appeler Maria et est très demandée grâce à son physique, son charisme et son tempérament affirmé. Les plus grands artistes de l’époque vont la peindre : Renoir, Puvis de Chavanne, Toulouse-Lautrec.


En posant pour des artistes et en les observant, elle apprend seule à dessiner et à peindre. Elle est curieuse et déterminée. Elle ne se contente pas d’être une muse ; elle devient une créatrice à part entière, explorant le portrait, le nu et les scènes de la vie quotidienne avec une audace rare. Valadon s’affranchit des conventions, dans sa vie comme dans son art.
Une autodidacte soutenue par les plus grands
L’école des Beaux-Arts n’est pas accessible aux femmes ; cela n’empêche pas Suzanne Valadon d’apprendre seule, avec passion. Autodidacte, elle expose ainsi cinq dessins au Salon de la Société nationale des beaux-arts en 1894, où Edgar Degas acquiert l’une de ses œuvres. Degas lui offrira se première reconnaissance artistique : il lui dira « vous êtes des nôtres ». Appréciant la vivacité de ses esquisses aux traits et contours appuyés, il l’encourage à poursuivre son travail et la guide dans son apprentissage.

D’autres artistes, comme Pierre-Auguste Renoir et Henri de Toulouse-Lautrec, saluent son audace et son indépendance. Elle devient la muse de Toulouse-Lautrec, avec qui elle a une liaison. Constatant qu’elle est employée comme modèle par de vieux peintres séduits par sa plastique, il lui suggère de s’appeler Suzanne. La référence est l’épisode biblique Suzanne et les vieillards.

Une reconnaissance tardive mais éclatante
Maurice Utrillo, fils que Suzanne Valadon a eu à l’âge de 18 ans, devient peintre lui aussi. Il commence à être reconnu dans le monde de l’art à partir des années 1910. Ses représentations des rues de Montmartre et des paysages urbains parisiens plaisent.


Musée Marmottan Monet – Photo : Tangopaso
Pour Suzanne Valadon, ce n’est qu’à partir de 1920 que son travail attire enfin l’attention du public et des critiques. Après avoir peint les membres de sa famille sans complaisance, elle produit sur commande des portraits bourgeois. Ce sont majoritairement des femmes de la « haute société ».
Ses expositions, notamment à la galerie Bernheim-Jeune, révèlent une œuvre audacieuse et colorée. À 50 ans passés, elle accède à la notoriété et vend enfin ses toiles.


La reconnaissance de l’Etat Français viendra au début des années 1930. Le musée du Luxembourg acquiert une nature morte, un autoportrait, ainsi que des dessins. Plus tard en 1937, à la création du Musée national, l’Etat acquiert un nombre important d’œuvres de Valadon. Elle s’éteindra un an après, rongée par le diabète.
Suzanne Valadon : un style unique et une approche novatrice
Un dessin précis au service d’une palette vibrante
L’artiste apprend à dessiner et à peindre en observant les artistes, sans avoir d’atelier propre. Elle dessine d’abord beaucoup. Ses modèles sont elle-même, son fils Maurice, sa mère, ainsi que les personnes avec qui elle vit. Les poses sont très naturelles, souvent intimes. Elle ne cherche pas à idéaliser ses modèles. Elle se peint elle-même et elle peint les membres de sa famille comme elle les voit, de manière brute.
La force de son dessin, c’est ce côté spontané, non recherché, sans mise en scène. Son trait est appuyé ; il cerne les corps, les yeux, les nez, les objets. Dessin ferme, contours accentués, couleurs vives et contrastées : tels sont les ingrédients de la peinture de Suzanne Valadon.

L’audace du nu féminin
Ses tableaux sont souvent des scènes intimes, de bain, de toilette. Elle demande à des voisines, à des gouvernantes et à son fils de poser pour elle.
Ayant été elle-même modèle nue, Suzanne Valadon sait comment on regarde un nu féminin, comment le corps féminin est idéalisé. Dans ses peintures de nus, elle va présenter les corps autrement. Par exemple elle couche sur la toile des poils pubiens, signe de réalisme, d’indépendance et de modernité.


L’audace du nu masculin
En 1909, elle rencontre André Utter, un ami de son fils de 20 ans de moins qu’elle. Ce jeune homme devient son amant ; elle l’épouse en 1914. Cette union, houleuse, durera près de trente ans. Tous les trois sont surnommés le « trio infernal » (Suzanne Valadon, son fils Maurice Utrillo, André Utter). Ils habitent dans une maison-atelier située au 12 rue Cortot à Paris, devenue aujourd’hui le musée de Montmartre.
La même année elle se représente en Ève, et son amant André Utter en Adam.
De même qu’elle peint les nus féminins avec des poils pubiens, elle ose la représentation frontale du sexe apparent pour les nus masculins.
C’était à l’époque inacceptable de peindre un corps d’homme nu. Ses tableaux sont contestés, jugés subversifs et amoraux. L’audace est vite réprimée. Pour présenter son tableau Adam et Ève au salon d’automne en 1920, Valadon doit recouvrir le sexe masculin d’une feuille de vigne.

Se peindre soi-même : des autoportraits de Suzanne Valadon sans fard
L’artiste peintre a produit 16 autoportraits : 6 dessins et 10 toiles peintes. Elle s’y représente systématiquement avec des traits sévères, sans complaisance ni désir de plaire. Cette approche est radicale pour un artiste femme ou homme à l’époque. En final elle s’est représentée à tous les âges de sa vie de 18 à 66 ans.


Son dernier autoportrait connu date de 1931, l’autoportrait aux seins nus. Alors âgée de 66 ans, elle portraiture avec sévérité les traits de son visage. Mais la coupe de cheveux est courte, ce sont les années folles, et sa poitrine est ferme. Le réalisme de son regard, fier et défiant, est si intense qu’à travers cette œuvre, Suzanne Valadon revendique son droit d’être à la fois sujet et objet du regard artistique. Elle s’inscrit dans une démarche féministe avant l’heure.

L’expressivité chez Suzanne Valadon
Des harmonies de couleurs puissantes et contrastées
Femme de tempérament, peintre de caractère, extrêmement libre, Suzanne Valadon appartient à la génération marquée par l’impressionnisme. Mais elle s’en détache. Car au-delà du dessin ferme et des contours appuyés, elle emploie des couleurs vibrantes et contrastées, marqueur de son audace.
Dans La chambre bleue, la palette chromatique est dominée par des tons bleus profonds, qui enveloppent la scène et créent une atmosphère intime. Se révèle ainsi la figure pleine d’assurance d’une femme libre à la posture décontractée, en train de fumer. Quelle rupture avec les représentations classiques des odalisques, objets de désir à la féminité passive.

La boîte à violon n’est pas une nature morte classique, paisible ni harmonieuse. Valadon insuffle ici une tension. Les formes sont massives et la perspective légèrement déformée, ce qui donne une impression de force et de mouvement latent. En raison de la gamme de couleurs saturée, dominée par le rouge vibrant du drapé, l’impact visuel de la scène est intensifié. Le bleu profond de l’intérieur de l’étui vient contraster l’ensemble.

Grands formats
La joie de vivre est un tableau de dimensions imposantes, 175 × 208 cm.
Ce tableau est une affirmation artistique forte qui brise les conventions.
Loin des poses figées et sensuelles des nus académiques, les femmes nues, charnelles, évoluent ici librement dans un paysage champêtre. Elles sont en mouvement. L’homme nu à l’intérieur de la toile qui regarde ces baigneuses s’ébattre est une mise en abyme. Le public à l’extérieur de cette scène de joie de vivre est à son tour en posture de voyeur. L’homme est André Utter, l’amant de 20 ans de moins que Suzanne Valadon.
La peintre développe un jeu de voyeurisme, très novateur pour l’époque.

Des nus masculins sur grand format se retrouvent également dans Le Lancement de filet, 201 x 301 cm.
Valadon choisit ici de représenter le corps nu de son amant André Utter sous trois angles différents, en plein effort, lançant un filet de pêche. La musculature est marquée, la posture est physique, tendue par l’effort, et non théâtrale. Les contours sont énergiques, presque anguleux. Cette approche naturaliste donne à la scène une énergie palpable.
La palette, composée de tons chauds et terreux, ocres, et bruns donne aux corps une présence sculpturale. Ils contrastent avec l’arrière-plan.

Une influence sur les générations suivantes
Suzanne Valadon peut être qualifiée à la fois de postimpressionniste et d’expressionniste. En effet son œuvre mêle des éléments des deux courants.
Sa peinture repose sur une vision subjective de la réalité, où les couleurs et les formes sont exagérées pour transmettre une émotion intense. Elle affirme son style personnel et audacieux avec ses couleurs puissantes et son dessin affirmé.
A cette période, les mouvements d’avant-garde comme le cubisme, le surréalisme et l’art abstrait sont en germe. Elle défend la nécessité de peindre le réel avec indépendance, liberté de ton et audace dans le nu et l’autoportrait.
Suzanne Valadon s’inscrit dans une modernité qui a influencé l’art du le XXᵉ siècle.
Elle laisse une œuvre monumentale : 600 œuvres, peintures et dessins.
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